PERE HENRI PISTRE
" le pape du rugby " n'a porté q'un seul maillot celui d'Albi

Le Jubilé d'Or Sacerdotal
le 8 février 1974

 

Sous la soutane, l'Abbé Pistre
montre son maillot du Sporting !

 

A Noailhac, Jean Vaysse remet à son
ancien co-équipier le cadeau du SC Albigeois.


Comme le jour de son ordination, I'abbé PISTRE portait le maillot "jaune et noir" sous sa soutane, le jour des noces d'or de son sacerdoce. Il est heureux de le montrer.

Depuis plus de quarante ans, I'abbé Henri PlSTRE est l'enfant terrible du clergé. Certains réprouvent sa verve, son franc-parler, sa popularité, ami de l'Archevêché d'ALBI, on le tient pour un des meilleurs défenseur de la foi catholique, apostolique et romaine. Dans tout le département du Tarn et ses environs, c'est en tous cas l'unanimité: « L'abbé est un type formidable ». Si l'Eglise n'avait que des gars de sa trempe, il y aurait autant de monde à confesse qu'au rugby... Autant dire que l'on ferait chapelle comble. Mais en vérité, je vous le dis, I'abbé PISTRE n'est pas un curé ordinaire, c'est le « Pape du rugby ».

Tout petit déjà, ce n'était pas un enfant de chœur au sens large du terme, c'est-à-dire que, même au temps où il servait la messe dans sa bonne ville de Mazamet, il n'avait pas pour habitude de se laisser marcher sur les pieds avec le sourire béat de remerciement, propre aux créatures angéliques. A un coup de poing, il répliquait par un coup de pied au cul qui trahissait déjà un botteur de talent.

Mais la foi toucha très jeune Henri PISTRE. Des missionnaires revenant d'évangéliser des peuplades primitives d'Océanie, vinrent prêcher en1912 à MAZAMET, à l'occasion des Fêtes de Pâques. Le petit Henri qui avait alors 12 ans, en fut bouleversé, tellement qu'il manifesta aussitôt aux prêtres de la mission, son désir de suivre leur vie. Il parlait avec une grande chaleur et une telle maturité d'esprit, que le dimanche suivant, à la place du sermon habituel, les missionnaires annoncèrent qu'ils allaient laisser la chaire à un prédicateur bien plus grand qu'eux.
Et les braves gens de MAZAMET virent, avec stupéfaction, monter un gosse sur l'estrade, sans le moindre soupçon d'appréhension, et commencer par leur dire, avec un aplomb du diable:

« Mes biens chers frères... ».
Henri était l'ainé d'une famille nombreuse, peu fortunée. Le curé de Mazamet se chargea de son éducation, le fit entrer au petit, puis au grand séminaire d'ALBI. Juste après son ordination, I'abbé PISTRE eut, d'ailleurs, la grande joie de baptiser son dernier frère de 23 ans son cadet. N'était-ce pas de magnifiques débuts ecclésiastiques ?

Mais n'anticipons point. Revenons au lendemain de la première guerre mondiale, au grand séminaire d'ALBI où Henri PISTRE poursuivait ses études.

 Après cette première conflagration, tous les jeunes s'adonnaient passionnément au sport. Henri PISTRE, ce grand gaillard bien planté, était, comme on le devine, un sportif convaincu. Ses préférences allaient à l'athlétisme, et plus particulièrement au sprint et au saut en hauteur. Mais comme le supérieur interdisait aux séminaristes de faire du sport sans soutane, Henri PISTRE ne put franchir qu'un mètre cinquante, ce qui était remarquable dans de telles conditions. Il dut, d'ailleurs, attendre d'être appelé sous les drapeaux pour affirmer sa valeur sportive. C'est ainsi qu'en espadrilles et en culotte courte, il passa 1 m. 65 dans un style rudimentaire. Le capitaine FABRE, du 15e Régiment d'infanterie, ne manqua pas de remarquer cet athlète très doué, et le décida à signer au Sporting Club Albigeois pour y pratiquer l'athlétisme et aussi le rugby. Il débuta en équipe réserve contre Villemur, d'abord trois-quart aile puis, au fur et à mesure des blessures, le « curé » monta à l'ouverture et termina troisième ligne.

Sachant que sa carrière sportive allait se limiter à la simple durée de son service militaire, Henri PISTRE ne ménagea point ses efforts. Dans les luttes obscures du paquet, il ne rechignait pas à la besogne et il découvrit que le rugby s'accommodait merveilleusement des textes des Saints Evangiles, car au cœur d'une mêlée également « il vaut mieux donner que recevoir ». Il y avait trois semaines qu'il pratiquait le rugby quand MARCET, capitaine du S. C. Albi, ayant eu des défections dans son équipe, déclara: « Dimanche contre Limoges, je prends le curé deuxième ligne... ,

Tout le monde crut que le brave MARCET devait souffrir de quelque traumatisme crânien, mais notre abbé « distribua le pain béni » aussi gaillardement qu'un autre. A son retour, il était consacré équipier premier en troisième ligne de l'illustre équipe d'Albi riche alors de ses fameuses vedettes: les Marcet, Vaysse, C.-A. Gonnet, Nachat, Llary, Dupouy, Beteille, futur puciste, etc...

Les soldats de l'équipe se hâtaient de reprendre l'habit civil pour aller jouer avec les copains; le curé estimait, au contraire, qu'il était préférable de rester en militaire, car sa tenue civile était la soutane, par trop voyante. Malgré sa tenue guerrière, I'abbé était une véritable providence pour le S C. Albi.

Un jour à Béziers, où l'abbé avait fait feu des quatre fers, le grand international MOUREU dit à VAYSSE:
« Dis donc, qu'est-ce que ce pèlerin que tu as fait jouer en troisième ligne ? ».
« Celui-là vous n'en avez pas un pareil à l'A. S. B., c'est un curé ! ».
« Dis donc VAYSSE, ne te fous pas de ma gueule ! ».
« Mais c'est la vérité. Té, six bouteilles de champagne que ç'en est un ».
« Tenu ! ».

MOUREU perdit, mais les copains de l'abbé découvrirent là une méthode originale de boire à l'œil, jusqu'au jour où tout le monde connut l'abbé PISTRE de réputation.

L'un des exploits les plus fameux du curé fut réalisé à ALBI au mois de juin 1922. Ce jour-là était organisé un challenge d'athlétisme auquel prenaient part le S. C. Albi et quelques petits clubs des environs. Encouragé par ses amis, le curé accepta de s'engager, à titre individuel, et de disputer seul toutes les épreuves ! Ainsi le vit-on participer tour à tour au 100 mètres, au 110 mètres haies, au lancement de poids, au saut en hauteur, au lancement de disque, au saut en longueur... et au relais 4 fois 100 mètres où, courant seul contre quatre adversaires, il termina deuxième derrière le S. C. Albi !

Un gueuleton monstre marqua cet exploit athlétique, mais le curé mangea de faible appétit, tant il tombait de fatigue.

A la fin de l'été, son service militaire étant terminé, le curé décida d'abandonner le sport actif.

La saison albigeoise de rugby allait débuter par un double événement: I'inauguration du monument aux Morts et la venue de la glorieuse U. S. Perpignan. L'abbé Pistre s'était donc rendu au stade où il attendait tranquillement dans les tribunes le match que ses amis albigeois devaient livrer aux fameux catalans.

Le président JOLY vint le trouver:
« Dis donc l'abbé, tu peux pas nous laisser tomber un jour pareil, tu dois jouer encore, une fois ».
« Mais je n'ai pas d'équipement pour jouer... ,~.
« Ça ne fait rien, nous allons t'en procurer un ».

Et c'est ainsi que le coup d'envoi fut retardé d'un quart d'heure, le temps de trouver à l'abbé une solide paire de godasses, un short adéquat et de la bande Velpeau, car il avait les chevilles sensibles. Lorsque notre curé-rugbyman fut harnaché, les opérations purent commencer.

Ce fut, selon l'expression consacrée « viril, mais correct ». Le curé et son vis-à-vis, I'international Fernand Vaqué, se tirèrent une formidable partie de bourre, qui marqua le départ d'une amitié assise désormais sur 40 ans d'existence et de dévouement à la cause du rugby.

Tout le Sporting, au repas du soir, sentit qu'il allait perdre une précieuse camaraderie, lorsque le curé, qui pendant deux ans avait été le boute-en-train du club, leur dit au dessert:

« Mes amis, j'ai passé parmi vous des heures inoubliables. Vous m'avez appris ce que pouvait être l'amitié, la fraternité, I'amour de son prochain. Croyez bien que je m'en souviendrai toute ma vie. Maintenant nous allons disputer des matches différents. Je vous souhaite de continuer sur la route glorieuse où vous êtes engagés. Quant à moi, je vais essayer de porter le ballon au milieu des poteaux de la Sainteté ».

Les copains essayèrent bien de le retenir:
« Ne pars pas, reste avec nous, on va te trouver une situation... ».
« Ce n'est pas la peine, j'en ai une toute trouvée ».

Henri PISTRE reprit donc sa place au grand séminaire d' Albi. Le 23 décembre 1923 il fut ordonné prêtre. Tous les copains du Sporting étaient présents. A la fin de la cérémonie, une délégation conduite par Vaysse, Nachat et Lamazouère se présenta à l'abbé Pistre. Vaysse qui tenait un paquet sous le bras, dit à l'abbé d'une voix sourde qui trahissait son émotion:

« Chez nous, lorsque quelqu'un se marie, on lui fait un cadeau. Pour toi aujourd'hui, c'est comme un mariage... alors nous t'offrons ceci ».

L'abbé défit le paquet. Dans la cape jaune et noir du Sporting-Club Albigeois, il y avait douze couverts en argent massif. Le curé ne trouva point de mots pour remercier, il dégrafa simplement le haut de sa soutane et ses copains virent qu'il portait, en guise de chemise, un vieux maillot délavé du S.C.A.

Extrait du livre d'Henri GARCiA « Les Contes du Rugby ~

Nous n'ajouterons pas grand-chose à cette remarquable relation de la carrière sportive de l'abbé PISTRE qui avait bien sa place dans notre Livre d'Or. Connu et aimé de tout le monde, habitué des rencontres internationales, des finales, des Congrès de la F. F. R., invité d'honneur de nombreuses étapes du Tour de France cycliste, il est depuis longtemps une figure populaire. Mais il ne renie pas son passé. Le 10 février dernier, dans son église de Noailhac, entouré de ses paroissiens et de ses nombreux amis, depuis M. Riolacci, Prélet du Tarn, M. Jacques Limouzy, Ministre d'Etat, jusqu'à MM. Ferrasse et Batigne qui sont à la tête de la F F. R., en passant par Me Gabarrou, qui fut le Président du glorieux C. O. et qui est le Maire de Noailhac, par l'international Jean Vaysse, qui fut son co-équipier, et le Comité du S. C. A. représenté par Mme Bécardit, le Président Pierre Chamayou, et M. Jean Féral, I'abbé Pistre célabrait son jubilé d'or sacerdotal . Et, comme le jour où il avait été ordonné prétre, il portait sous sa soutane, le maillot « jaune et noir » que lui avait offert le Sporting.