MONSEIGNEUR DOMINIQUE LEBRUN
Arbitre de Football
A quarante ans, le père Lebrun était l'un des plus jeunes curés du diocèse de Saint Denis. Il a participé lors de la coupe du monde de football en France à un spot publicitaire : car il a été arbitre pendant 13 ans ... Maintenant il est évêque de Saint Etienne.
Son cheminement, ses photos, ses écrits, ses prières, ses interviews ...
L'ARBITRE AU COL ROMAIN ! interview réalisée par Philippe Delorme ( France Catholique : Juin 1998 )
Mon père, comment et pourquoi devient-on arbitre ? Enfant, j'ai joué au football, à Villemonble puis à l'école sportive de Raincy. J'ai ensuite interrompu cette activité. Je suis entré au séminaire, je suis devenu prêtre, j'ai poursuivi mes études à Rome. A mon retour à 26 ans, j'ai voulu reprendre le sport. Mais le sport tout seul, cela m'ennuyait ! J'ai voulu courir pour quelque chose ! L'idée m'est alors venue d'être arbitre, de collaborer à un sport. L'arbitre aussi a envie de gagner son match : celui de la compétence, et de la clairvoyance, celui de l'honnêteté et du courage. Cela dit, aujourd'hui encore, je ne sais vraiment pas ce qui m'a poussé à choisir d'être arbitre ... sauf peut-être une inspiration de l'Esprit Saint ! La formation ressemble à celle du brevet de secourisme : on suit des cours du soir pendant 8 à 12 semaines, puis on passe un brevet théorique, suivi d'un examen pratique. Chaque année, on est de nouveau testé pour évaluer ses compétences et son entraînement physique. Au début, j'étais arbitre de district, en Seine-Saint-Denis. C'est-à-dire que j'ai très vite su davantage où se trouvaient les stades que les églises du département. Après la messe et les baptêmes, le dimanche midi, je prenais mon sac et en avant pour Coubron, Villepinte ou Aulnay-sous-bois ! Chaque semaine je découvrais un terrain différent. A la fin de ma petite carrière, j'étais devenu arbitre de ligue, au niveau régional. J'étais convoqué en Seine-et-Marne, dans le Val-de-Marne, le Val-d'Oise ... Arbitre de football, n'est ce pas curieux pour un prêtre ? A posteriori, je me rends compte que cela m'a permis de rencontrer un milieu très différent. Depuis j'ai mieux compris la critique que l'on fait parfois à l'Eglise d'être un milieu fermé. Celui du football l'est tout autant, pour quelqu'un qui n'est pas initié. Une chose amusante : je ne me cache pas d'être prêtre, je porte un col romain et une croix sur mon blouson. Pourtant, quand j'arrive sur un stade, une fois sur deux on ne s'aperçoit pas que suis prêtre. Les gens ne voient que le sac de sport qui est pour eux le signe distinctif essentiel de leur propre milieu. Les premiers mois d'exercice, comme je n'avais pas beaucoup de temps de m'intéresser au football par ailleurs, je n'étais pas forcément très à l'aise ... Une autre chose : une de mes premières surprises est de m'être fait injurier par des supporters, comme jamais sans doute je me ferai injurier par les fidèles ! C'est assez éprouvant, d'autant qu'on ne peut donner aucune réponse. La violence s'exprime de cette manière, bien qu'il existe des règles du jeu très strictes. Je dirai que la solitude du prêtre ressemble un peu à celle de l'arbitre. Dans les deux cas, il faut faire face à une assemblée, ou à des spectateurs. Le supporter a souvent une image négative, vociférant sur les stades ou devant sa télévision ... Les vrais supporters sont en général des gens qui ont pratiqué le football lorsqu'ils étaient plus jeunes ou qui côtoient des joueurs. J'ai été époustouflé du nombre de gens qui pratiquent le dimanche. En treize ans, j'ai arbitré très peu souvent deux fois la même équipe, alors que j'étais toutes les semaines sur les stades. Chaque dimanche, cette passion du foot entraîne au café devant mon église, bien avant la première messe, une douzaine de gaillards. Ils sont déjà prêts à rejoindre un hectare bien vert, entre deux immeubles. Dans le 93, ce sont ainsi plusieurs dizaines de milliers de passionnés. S'il ne faut pas se cacher la violence, cela dit, c'est la fête qui prime. En l'occurrence, on sent bien pour ce mondial une atmosphère de fête. Pour ce qui concerne les Français par exemple, je ne vois pas une passion pour l'équipe nationale qui pourrait entraîner de la haine à l'égard des autres. Le football comporte certes un aspect d'opposition, mais il fait partie de la vie. De tels évènements peuvent servir de révélateur d'une situation, mais on n'a pas attendu la Coupe du monde pour parler de la violence. Peut-être devrait-on d'ailleurs faire attention de ne pas trop en parler. Personnellement, je regrette un peu que l'ont ait choisi de placer des grilles autour du terrain, afin de séparer les spectateurs des joueurs. Il faudrait au contraire étendre la confiance qui existe entre les joueurs, par le biais des règles du jeu, à l'ensemble des personnes présentes dans le stade. C'est ainsi en Angleterre. Là-bas, c'est à l'extérieur du stade qu'ont lieu les violences. Il faudrait veiller à sauvegarder une certaine philosophie du sport, fondée sur l'idée de confiance mutuelle. La Coupe du monde à Saint-Denis, est-ce une chance pour ce département ? Le monde a rendez-vous avec le foot. Le petit monde du 93 doit saisir sa chance. La chance de se regarder autrement que dans le miroir du mal des banlieues. La chance de se rassembler autrement. N'assiste-t-on pas, avec l'hyper-médiatisation du football, à la naissance d'une nouvelle religion ? Ce n'est pas nouveau : les Romains demandaient déjà du pain et des jeux ! L'homme a besoin de jouer, et le football demeure un jeu même s'il comporte des enjeux financiers sur lesquels on pourrait discuter. Nous appartenons en effet à une civilisation de loisirs. Mais les joueurs que j'ai rencontrés avaient conscience que le football était comme une parenthèse dans leur vie. Ils savent qu'il y a un temps pour tout, et que le jeu, ce n'est pas la vie. C'est la même chose pour la coupe du monde. J'ai l'impression que l'on va la vivre comme un interlude, comme un spectacle destiné à nous reposer un peu de la réalité, de nous évader d'un certain nombre de préoccupations telles que le chômage. Cela dit, j'ai été très sensible à un symbole. Avant les JMJ, j'allais souvent sur la butte Montmartre où se tenait le comité d'organisation. Vers le nord, la basilique de Saint Denis perçait le paysage. Deux ans plus tard, elle apparaît petite à côté du Grand Stade ... Dans certains pays, comme le Brésil, les joueurs font un signe de croix en entrant sur le stade. Ce geste peut sembler étrange en France, où existe une tradition excessive de la laïcité, de séparation de l'Eglise et de l'Etat. A cet égard, le diocèse de Saint-Denis s'est mobilisé, à la suite des demandes des pays étrangers qui auront des ressortissants ici. Durant le mondial, il faut que les églises soient ouvertes. La basilique Saint Denis assurera des permanences, auxquelles je participerai. Je suis persuadé que beaucoup de personnes visiteront la basilique, aussi dans une optique spirituelle. Il y aura des messes en italien et en portugais. A Pantin, par exemple, les hôtels m'ont demandé les horaires des messes. Il n'y aura pas de matches le dimanche matin, ça tombe bien ! Je ne crois pas que le sport et la religion soient en concurrence, même si le sport peut prendre une place excessive. Inversement, ne récupérons pas ce qui pourrait d'ailleurs apparaître comme de la concurrence déloyale ! Accueillons ce terrain où beaucoup est semé : relations fortes, respect des décisions, cohabitation multiraciale, règle du jeu ... sans ignorer les pierres qui empêchent l'herbe de pousser ou les mauvaises plantes qui jettent le trouble. Là-dessus, nous connaissons un bon livre ! On peut y lire : Le semeur est sorti pour semer. La moisson est abondante. Entrons dans la joie des ouvriers du Royaume en chantonnant sur un air connu : un terrain à moissonner, avec le meilleur des engrais : la prière ! En France, il y a les pro Mondial, et les anti ... Comme vous savez, je suis apparu dans un spot publicitaire, et les gens m'en parlent. Bien sûr, on assistera à des mini-drames dans les familles, lorsque le père voudra obliger son épouse et ses enfants à voir toutes les retransmissions ! C'est pourquoi, dans le cadre de la paroisse Saint Germain, nous avons prévu six soirées Coupe du Monde. Elle s'adressent d'abord à ceux qui sont seuls, ensuite à ceux qui sont deux et dont l'un a une overdose de foot. Enfin à ceux qui sont trois et qui voudraient être plus nombreux encore. Une façon de dire : ne vous coupez pas du monde le jour de la Coupe du Monde.