PERE GUY GILBERT : 3000 METRES POUR LA FORME !

C'est, paradoxalement, grâce à l'ironie cinglante d'un supérieur du séminaire que le sport est entré dans ma vie. Gras à lard et âgé de 13 ans, mes résultats scolaires étaient à la hauteur de mon petit ventre dont ma gourmandise cultivait la rondeur avec constance. Tancé publiquement par le supérieur par rapport à ma scolarité qu'il fustigea autant que mon embonpoint naissant, je sortis furieux de l'étude.

Je demandai à un copain quoi faire pour maigrir. Il me répondit doctement : « Fais un 3 000 mètres, c'est radical ! » Nanti de ce conseil adolescent et malgré mon dégoût de toute activité sportive, j'attaquai le lendemain, à petites enjambées, les 3 000 mètres conseillés. Les muscles tétanisés la première fois, je récidivais... pendant vingt ans. Seul. Et tous les jours. Mon corps s'affina, et je pris un goût inextinguible à remuer tous mes muscles.

Bienheureuse ascèse ! Quand il m'a fallu vivre avec les loubards, j'ai dû affronter les mille et un sports violents dont ils se délectaient : équitation, karaté, motocross et... course à pied. Ne serait-ce que pour rattraper le portefeuille que l'un d'entre mes jeunes avait eu l'audace de me piquer !

J'étais donc depuis longtemps préparé, sans que je le sache, à vivre l'aventure des rues où la violence permanente exige une forme physique performante.

Depuis plus d'un demi-siècle, je suis toujours heureux de me mesurer physiquement avec moi-même. Seulement, l'âge avançant, je dois peu à peu modifier mon type d'activité sportive.

Monter dans les arbres est la passion du presque septuagénaire que je suis. C'est un sport non encore homologué aux Jeux olympiques... Les arbres sont des vivants. Respirer l'odeur des pins est un enchantement. Se souder au tronc odoriférant est joie intime. De plus, se hisser de branche en branche permet des contorsions où tous les muscles jouent, sans exception.

Dans la forêt où je me rends régulièrement pour mes quarante-huit heures de solitude, j'ai un pin de prédilection pour ce type d'exercice. La terrible tempête d'il y a trois ans l'avait, je le croyais, détruit. Et puis je l'ai retrouvé, miraculeusement intact, au milieu d'un enchevêtrement dantesque de troncs arrachés. Après une dure montée, plusieurs fois répétée, m'accrocher au sommet pour contempler le soleil couchant est un moment incomparable.

Prière sur l'univers garantie !

Faire grimper les âmes, c'est ma mission. Faire monter mon adrénaline grâce à un sport dur est un antidote certain, face à ma confrontation journalière à la violence.

Suer en haut d'un arbre est donc, pour moi, aussi mystique qu'écologique. Et si apaisant.

                  article rédigé pour la revue : La Croix 11/12/02