FRERE PIERRE : 87 ANS, CURE, ERMITE ET CYCLISTE !

«UN CURÉ qui fait du vélo ? Allez voir l’abbé Alric à Aurignac. Il nous a mariés en 1963. Il a toujours bon pied bon oeil ! », indiquait ce couple qui regardait passer le Tour, dimanche, en haut du col de Peyresourde. « Le père Alric ? C’est vraiment un sacré phénomène ! Il nous a baptisés la petite, samedi », précisent Odette et Patrick, patrons de la pizzeria du centre-bourg. « Vous le trouverez soit dans la chapelle, où il prie quand il fait trop chaud, soit en bas dans son mobile home », oriente Annie Mallet, trésorière de l’association des Amis de Notre-Dame-de-Saint-Bernard.

Au lieu-dit, plus loin sur la route de Montoulieu, un petit clocher apparaît, niché dans un écrin de verdure. Bêche à la main, une silhouette aux épaules courbées se dirige d’un pas ferme vers l’avant de l’édifice. « Venez, ils sont en train de réparer la source. J’allais les encourager. En même temps, je vous montre ! », invite l’homme d’un très chaleureux sourire.

« Je n’ai jamais mal sur un vélo »
Pantalon de velours à fines côtes, chemise à carreaux et godillots de montagnard, Pierre Alric, 87 ans, ancien curé d’Aurignac, vit depuis douze ans en ermite au pied de cette chapelle où il célèbre toujours messes et mariages.
Connu dans la région pour en avoir sillonné en vélo tous les lieux de culte, le prêtre vient de fêter ses soixante ans de sacerdoce. Au-dessus d’une jolie fontaine ornée de fleurs et de fins buissons de buis, la statue d’une Vierge blanche veille sur quelques cierges qui brûlent.
Il salue l’un des trois ouvriers affairés à raccorder les conduits de la source, désormais polluée, au réseau d’eau potable de la commune : « Bonjour Lucien ! Sais-tu combien de ronces j’ai encore taillé dans le petit bois : déjà trente aujourd’hui ! Ça repousse ! »
La tête abritée d’un bob noué sous le menton et siglé « Thaïlande » ­ « un cadeau qu’on m’a fait » ­ le père ôte ses gants, pose son outil et s’assied sur un banc: « J’ai les lombaires douloureuses quand je reste trop longtemps debout. Mais je n’ai jamais mal sur un vélo. »

Il fixe son regard bleu par-dessus ses lunettes. Le voilà prêt à conter. Avec mille détails, il commence par l’histoire de ce lieu de pèlerinage né au XVII e siècle de l’apparition d’une « dame blanche » à une petite bergère du nom de Madeleine Serres. « Elle était justement tombée dans les ronces et l’a vue en se relevant », sourit-il. Il poursuit par le récit de sa vocation, née durant les chantiers de jeunesse de la guerre (NDLR : le service militaire de Vichy durant l’Occupation), du désir de « faire quelque chose pour les autres ».
Des mines de zinc et de plomb de l’Ariège au grand séminaire de Toulouse, il est ordonné prêtre en 1948 puis choisit de rejoindre une communauté de frères. « Après l’Algérie, j’ai officié treize ans à la cure de Marignac-Saint-Béat puis vingt-cinq à Aurignac. J’allais en vélo à toutes mes messes, sauf le dimanche, quand j’en avais trois, là je prenais la voiture pour arriver à l’heure. »

A vol d’oiseau, une trentaine de kilomètres le séparait, hier, du passage de la Grande Boucle. Frère Pierre, comme il préfère qu’on l’appelle, regarde l’issue de chaque étape « le soir à la télé » dans son mobile home de 24 m 2 . Il n’aime pas la caravane publicitaire ­ « du gaspillage d’essence et de la pub qui fait désirer des objets. Cela ne va pas dans le sens de la vérité ». Mais il apprécie la course: « C’est du sport… tant qu’il n’y a pas de dopage ! » Dans un appentis qui fait face à sa drôle de demeure, ses deux MBK ­ le rouge, le dernier, lui a été offert pour sa retraite ­ sont encore prêts à l’usage. Le curé, qui aimait notamment pédaler « parce que ça donne les idées claires », ne parcourt plus que « dix kilomètres par semaine ». Lui dont beaucoup viennent rechercher les sages conseils ­ il cherche d’ailleurs un successeur ­ en convient : « Il est vrai qu’il faut savoir s’arrêter… »

                  article rédigé pour la revue : Le Parisien 17/07/08