mon
expérience en tant qu'aumônier dans le monde du rugby
par Raphaël Comiotto
Tout
d'abord je veux remercier les
personnes qui ont organisé cette réunion au sein du Conseil Pontifical pour
les laïcs. Cette rencontre nous fournit une occasion unique de partager et d'échanger
des idées concernant les expériences pastorales dans le monde du sport. Mon
cas particulier concerne le rugby professionnel en France.
Les chemins de la providence sont souvent nourris par des rencontres que
nous avons avec des personnes ou par des événements uniques ou encore des
expériences singulières qui laissent en nous une impression profonde. C'est
bien le cas avec mon aventure vécue dans le monde du rugby.
Personnellement,
je n'ai jamais joué à ce sport. Jusqu'à l'âge adulte je n'ai presque
jamais regardé les matches de rugby à la télévision et n'ai jamais connu
personne qui pratiquait ce
sport. En fait, je pouvais considérer de loin le jeu du ballon ovale comme
une activité sauvage pour des
hommes violents qui acceptaient de s'engager dans une rencontre musclée, rude
et même ... barbare !
Mais
la providence a voulu que la première paroisse où j'ai été nommé comme
jeune prêtre s'avérait être la paroisse
du capitaine de l'équipe de rugby de Grenoble !
Le
nom du capitaine était Willy Taofifenua ; cet étrange phonème est un
patronyme Wallisien. L'homme que j'ai eu le plaisir de rencontrer avec toute
sa famille était de vraie culture Wallisienne ... Cela impliquait qu'il avait
une identité catholique très forte parce que Wallis et Futuna sont deux îles
françaises dans l'océan du sud Pacifique, entre la Nouvelle-Calédonie et la
Nouvelle Zélande, qui ont été très marquées par la figure du prêtre
martyre Pierre CHANEL.
Ce
dernier y a laissé un témoignage fécond pour une profonde dévotion et un
grand amour du Christ.
Lors
de ma première année comme jeune prêtre ( 1995-96 ), l'équipe de rugby de
Grenoble jouait au niveau national supérieur appelé « TOP 16 »
puisqu'il regroupait les 16 principaux clubs de France.
Le
championnat national français s'appelle maintenant les « TOP 14 »
car désormais il n'y a plus que 14 clubs qui le composent
Il
faut dire ici que la rencontre de Willy m'a donné la chance d'être immédiatement
présenté au niveau le plus élevé du rugby français, car il était déjà
une grande personnalité dans ce
milieu et considérablement respecté à Grenoble.
Puisque
le capitaine d'équipe était dans ma paroisse, j'ai pu inclure Willy et son
entourage sportif dans mon accompagnement pastoral. Je l'ai fait très
naturellement, sans penser plus que cela au début de l'aventure à une création
pastorale. Mais pour cette raison d' une nouvelle mission étendue, c'est une
« paroisse » originale et spéciale qui a été établie et a
commencé à se développer pour moi dans le monde du rugby.
A
partir de 1996 ce sport fut de plus en plus marqué par le professionnalisme
en France ; beaucoup de joueurs étrangers
sont venus du Pacifique entre
autres, particulièrement de la Nouvelle Zélande,
de Tonga et Samoa, mais aussi d'Afrique du sud, d'Argentine et autres
terres car le rugby permettait désormais de construire une carrière dans le
championnat français. Plusieurs de ces joueurs étrangers étaient des chrétiens.
Loin de leurs maisons et de leurs paroisses locales ils pouvaient se sentir
parfois doublement exilés. Ainsi j'ai commencé peu à peu à les
accompagner ponctuellement au gré des rencontres que
mon temps libre permettait car je n'ai jamais reçu "une mission
officielle" pour un envoi par mon évêque sur ce terrain pastoral du
rugby .
Les
gens d'Océanie tendent à être des hommes grands et forts ; ils sont respectés
en raison de leur extraordinaire puissance si utile dans le combat. Comme je
fus accueilli et accepté par eux, j'ai été également respecté en tant que
« prêtre des géants » dans cette
communauté d'hommes où la force est la première loi ! Mais au delà de la
première impression de puissance pure, le rugby qui peut paraître quelque
peu brutal, embrasse également les riches valeurs d'une heureuse et
excellente déontologie sportive. C'est peut-être la deuxième raison pour
laquelle j'ai pu consacrer mon énergie à cette mission particulière et y
persévérer.
J'ai
toujours été particulièrement touché par le terrain qui semblait comme préparé
d'avance à l'ouverture spirituelle.
Derrière
la première et terrible impression d'un sport violent, qui est en fait un
vrai combat, on peut trouver de nombreuses vertus humaines comme le courage,
le respect, la fidélité, l'amitié, la loyauté et la solidarité. Sur le
champ de « bataille » il y a bien une concurrence intense et sans
concession. Mais en dehors de ce champ, après le jeu, les combattants se
retrouvent tous comme de véritables amis. En tant que prêtre, pendant le
temps que je passe avec les
joueurs, il y a de belles et nombreuses occasions de dialogue au sujet des
questions spirituelles et philosophiques: c'est le temps de la paix !
La fameuse troisième mi temps est, paradoxalement en ces occasions, un
merveilleux lieu d'élévation ! C'est
alors un temps privilégié pour comprendre pourquoi ce que nous nommons
valeurs est si important à conserver et à défendre.
Ma
présence comme prêtre offre à ces guerriers
une "bonne excuse" pour parler de ces sujets « intellos »
qui vont souvent à l'encontre des stéréotypes que l'on peut avoir à leur
sujet. Les rugbymen sont en effet trop souvent dépeints comme des
"montagnes de muscles" avec peu d'intellect. Or j'ai découvert
tout le contraire !
Très
souvent je rencontre des joueurs avec une intelligence vive qui s'engagent
dans la conversation avec un instinct
naturel de provocation envers les
sujets sensibles de l'Eglise et du monde mais aussi un beau sens d'ouverture
et d'intelligence des vrais enjeux. En fait, nous devrions nous rappeler qu'au
commencement le rugby était un sport universitaire, il a su garder l'atavisme
de son berceau !
Au
cours des années, ce soin pastoral envers le monde du rugby m'y a fait
cultiver de nombreuses amitiés fortes avec les joueurs pour m'ouvrir
beaucoup de portes par un vaste réseau sur l'ensemble de la France.
Que de noms et de visages sont là qui traversent ma mémoire ! Les joueurs
ont le sens de la fidélité et ils confient beaucoup de leur vie. Je les
porte dans ma prière au plus près du
Seigneur ainsi que leurs familles avec tous leurs soucis et leurs joies aussi.
Aujourd'hui je
suis désormais connu par un grand nombre de joueurs sur l'ensemble de la
France. Il y a un an, à l'occasion
d'un reportage télévisé sur ma « passion » de prêtre pour ce sport, l'entraîneur Franck CORRIHON m'a nommé
: " le prêtre des rugbymen en France". C'est maintenant la septième
année que je connais personnellement au gré de mes rencontres entre six à
dix des joueurs sélectionnés chaque
année qui font partie du XV de France.
L'excellence
de cette reconnaissance au niveau sportif pour ces hommes que j'apprends à
connaître m'appelle en retour à une attention très pointue sur leurs éventuelles
questions. Cela oblige à une grande
fiabilité dans mon ministère afin d'honorer cette confiance qui m'est si
souvent manifestée. Cela et particulièrement vrai quand ils se trouvent face
à l'adversité de la vie avec tous ses aléas ! Les joueurs connaissent leurs
périodes de succès mais aussi leurs temps de faiblesse et de fragilité ...
quand ils sont blessés ou dans les moments de contre performance comme dans
l'épreuve d'une relégation au banc de touche voire dans les tribunes,
l'angoisse et la spirale de l'échec sont redoutables. La plupart du temps
ils ne peuvent savoir quel sera le délai de ce passage à vide et
risquent de le vivre dans un effet de renforcement négatif qui déstructure.
Ils peuvent ainsi éprouver beaucoup de
solitude et sombrer face aux faciles tentations qui sont autant d'impasses. Ce
peut être le temps alors du jugement faussé, des illusions, des recours aux
drogues et substances qui peuvent entraîner jusqu'à l'addiction. J'ai pu
rencontrer des joueurs qui ont connu ces tristes expériences. Il s'agit alors
d'essayez de les aider, de les comprendre, de leur donner des conseils comme
autant de souffles de liberté, et en particulier, à la manière du Christ
qui guérit et relève tous ceux qui tombent. Il faut rappeler avec la foi, et
la charité du coeur dans la vigueur
d'une espérance jamais éteinte, la force d'un salut toujours possible parce
que offert à chacun en principe de vie !
Voilà bien une autre histoire de mêlée où doit sortir la chance de la vie !!! Voilà le vrai combat que toute lutte ne peut qu'illustrer.
Poursuivant
cette dernière évocation qui mêle le spirituel à l'engagement physique, je
dirai un mot au sujet de quelques considérations religieuses.
Les
valeurs du rugby demeurent fondamentalement des valeurs chrétiennes. Elles
ont une dimension universelle. Beaucoup de personnes qui pratiquent ce sport
sont des personnes croyantes. Il y a
souvent hélas, mais comme en tant d'autres lieux, une dimension également
superstitieuse ! Rien n'est jamais pur dans la réalité de notre foi, les
choses sont la plupart du temps mélangées, relatives et floues ! Un prêtre
est aussi un éducateur patient et attentif qui doit aider à savoir
discerner. Nous devons instruire de
manière fructueuse les croyants sportifs au sujet de leur foi et de leur
relation à Celui que la Révélation appelle le « Tout Puissant ».
Il convient d'expliquer, contre une vision fantastique récurrente et
finalement banale, la réelle et juste dimension de
l'Amour du Créateur. Sans relâche,
comme une véritable ascèse de sportif, dire et redire quel est le
merveilleux plan de Dieu offert pour chacun d'entre nous.
Je
me rends compte que la connaissance spirituelle des personnes en France se révèle
plutôt pauvre ! Pourtant la soif est bien là ! Je la reconnais avec bonheur
à chaque fois pleine, débordante, joyeuse et si passionnément édifiante
quand le temps de la confiance est trouvé ! Les jeunes joueurs sont particulièrement
intéressés par la question de Dieu sur laquelle ils n'ont que peu de
prise. Le catéchisme est une lointaine expérience pour certains et ils
doivent se réapproprier le sens de leur appartenance à l'Eglise quand on ose
aborder les grandes questions de la foi.
Je
pense qu'il est juste d'indiquer
cependant que les joueurs étrangers sont bien plus éduqués dans les
affaires de la religion que les Français. Les Argentins sont catholiques et souvent pratiquants
avec une très belle éducation chrétienne. Chez les anglo-saxon la pratique
du partage sur la Bible est une chose connue et appréciée dans la mouvance généralement
protestante. Pour ma part l'enjeu est d'aider au plus près et au plus juste
chacun à croître là où il en est. Des
tout petits pas pour une progression qui n'a toujours que l'ambition d'un
point gagné dans la confiance et la vérité.
Mais indéniablement les joueurs de rugby semblent désirer, comme toute personne humaine, développer la connaissance de leur foi lorsqu'ils ont pu être aidés à comprendre son importance dans leur vie, et quand ils peuvent s'en donner les moyens. A cet égard une dernière remarque concerne le très lourd calendrier auquel les joueurs sont soumis et où les week-ends accumulés laissent peu de place au Jour du Seigneur.
Pour conclure, en regardant
ma vie qui s'est écoulée depuis douze ans, je suis toujours étonné
quand je considère la manière dont mon ministère
de prêtre a pu évoluer pour embrasser ce sport particulier que Web
ELLIS « inventa ».
En
tant qu'aumônier "officieux" mais pleinement et réellement engagé
dans cet univers du rugby, j'estime que
je me sens appelé de plus en plus à
servir ce monde original et captivant. Je suis fier d'être considéré par
mes amis les joueurs comme " l'ami de Dieu ". Cette fierté que je
qualifierai de bon orgueil ne tient qu'en ceci : puisse cette présence
auprès d'eux aider à croire en
cette vérité que Dieu offre à chacun Son amitié. Le prêtre est toujours
signe d'un Autre. Il répond déjà dans le silence d'une présence fidèle à
la même question ultime que tous nous portons dans l'aventure de notre
humanité.
« comment être un homme bon ? »
Offerte
à la rencontre et la relation des autres cette humanité recherchera toujours
de quelle manière elle peut devenir une personne élevé dans la dignité et
la beauté de l'amour véritable !
Ma
réponse sera toujours la même.
Elle est fondée sur l'Alliance que Dieu nous offre et sur l'estime, sans
cesse croissante, de ce milieu sportif où je suis accueilli et entendu:
Je
dirai :
"
Dieu est le
meilleur équipier que nous pouvons avoir
dans notre équipe ; la croissance de notre dimension spirituelle est la plus
belle, la plus profonde, la plus totale et la
meilleure compétition de la vie ! ... gardons toujours sous les yeux cette
ligne de l'en but, ayons l'ambition de l'essai ! ... Et Dieu transformera ! "