PEDALE, LE CIEL NE T'AIDERA PAS
père Jean Ferrari, champion de France de cyclisme du Clergé

        Détours en France. Chaque jour, l’Humanité trace sa Grande Boucle. Aujourd’hui, étape à Peyrolles-en-Provence, avec le champion de France cycliste du clergé.

Peyrolles-en-Provence, envoyé spécial. Notre route, aujourd’hui, nous mène à l’église de Peyrolles-en-Provence, petit village à portée de bicyclette des routes du Lubéron. Les voies du Seigneur qui d’habitude sont impénétrables se sont ouvertes jusqu’à la porte du presbytère. Sur le perron, le père Jean Ferrari, champion de France cycliste du clergé, nous accueille. Il n’est ni en soutane, ni en cuissard, simplement en civil. Fringant, des faux airs de Jean Todt à la diète, la mémoire encore fraîche de son titre remporté le 30 avril dans le Var, à Sanary-sur-Mer, il raconte : « Le père Bertrand a chuté, il devait être dans le rouge, moi j’ai démarré et j’ai fait presque toute la course tout seul. » Son second titre d’affilée sera une affaire rondement menée : cinquante kilomètres à 32 km/h de moyenne. Tout cela fait que le dimanche, à Peyrolles-en-Provence, la messe est aussi cathodique. Autour de l’écran de télévision qui diffuse les classiques de Coupe du monde, le père Jean préfère les as de la pédale aux footballeurs. Lorsque le rectangle est vert, les commentateurs déjantent trop souvent à son goût : « Je trouve que les chroniqueurs sportifs font trop de parallèle avec la religion dans leurs commentaires. Heureusement dans le sport cycliste, il y a plus de valeurs. De toute façon, dès qu’il tombe dans l’idolâtrie, le sport perd de son humanité. » La religion a pourtant largement inspiré la geste cycliste. Dans les années quarante, l’écrivain italien Curzio Malaparte écrit ainsi, dans la Stampa, à propos de Gino « le pieux » Bartali, ennemi intime de Fausto Coppi : « Bartali est un homme métaphysique, protégé par les saintes. Coppi n’a personne pour s’occuper de lui. Son manager, son masseur n’ont pas d’ailes (...). Il ne pédale pas avec un ange perché sur son épaule droite. Bartali prie en pédalant. Coppi, rationaliste, cartésien (...), ne croit qu’au moteur qu’on lui a confié, c’est-à-dire son corps. » Pour Jean Ferrari, c’est presque pareil. Son credo, c’est : « Pédale, le ciel - t’aidera ! » Enfin, ça ne marche pas toujours. Il raconte : « J’ai fait une fois une prière avant une course, je suis tombé... J’avais peut-être demandé la victoire, je ne sais plus. » La paroisse de Jean Ferrari n’a rien d’un Notre-Dame des cyclistes, la chapelle des martyrs du Tour de France à Labastide-d’Armagnac, dans les Landes, réplique de Ghisallo, au bord du lac de Côme. Les Italiens aiment s’y recueillir avant le Tour de Lombardie. Chez le curé de Peyrolles-en-Provence, foin de tout cela. Les ex-voto ne sont pas en chambre à air ou en guidoline. Une petite pièce à l’entrée du presbytère abrite ses vélos, trois montures en tout. Le père Ferrari « entretient ses vélos lui-même ». Le denier du culte ne lui permet pas de rouler sur l’or : « Le vélo, explique-t-il, c’est un peu un sport de riches. Je suis à l’affût des soldes pour les vêtements. Enfin, je ne calcule pas trop non plus, c’est ma passion. » La passion selon Jean l’amène aussi à faire l’église buissonnière certains dimanches de messe. « Comme je dispute une douzaine de courses par an, je dois parfois m’absenter. C’est parfois dur de trouver un prêtre remplaçant pour assurer l’office. Le vélo laisse assez indifférent mes confrères. » En juillet, il tente de plus larges échappées lorsque le peloton du Tour de France, comme demain à Digne-les-Bains, se profile pas trop loin de son clocher. Il aurait aimé être l’aumônier du Tour. L’idée était dans l’air. Le père Lorentz, organisateur du championnat de France du clergé, explique : « Plusieurs fois, j’ai eu des demandes de cyclistes du Tour pour que l’Église soit présente sur l’événement. Le directeur de l’épreuve, Jean-Marie Leblanc, m’a dit : "Pourquoi pas ?" On en est resté là. » Dommage pour le père Ferrari qui est un vrai tifosi du vélo : « L’an dernier, je suis allé dans la montée de l’Alpe-d’Huez. C’est agréable aussi d’être spectateur. J’aime le côté populaire du vélo, les champions en général rendent bien leur soutien aux spectateurs. Ils méritent le salut du champion. » Lors du championnat de France du clergé, Richard Virenque était annoncé, il s’est finalement fait excuser. « C’est quelqu’un d’accessible, je le connais un petit peu. » Que le Varois ait péché au moment de l’affaire Festina ne le dérange pas plus que cela, il donne volontiers l’absolution à ceux qui ont flirté un jour avec les flammes de l’enfer. « Celui qui faute, c’est souvent parce qu’on n’a pas éclairé sa conscience pour qu’il prenne sa décision. Quelquefois, je réfléchis et je me dis que si j’avais été pro, j’aurais été confronté à certaines compromissions. » Un rêve qu’il n’a pas réalisé. Jean Ferrari avait pourtant la filiation adéquate. Celle de l’Italie, fille aînée du vélo et terre natale de ses parents. Le jeune Ferrari a - appris à chevaucher une - bicyclette dans les années soixante, à Agrate Conturbia, dans le Piémont. Mais la cloche sonne... On s’est attardé depuis un long moment déjà à confesser le père Jean. Pour nous, la messe est dite. Lui a d’autres chats à fouetter : « Je vais aller faire deux heures d’intervalle - training... » 

article rédigé par Frédéric Sugnot pour la revue : L'Humanité 13/07/05